Ignoré par beaucoup, Lǒ Siē Afrīka est le premier roman du XXIème siècle à être écrit en langue fe’efe’e, (langue de l’Ouest du Cameroun). Publié à Douala aux éditions AfricAvenir en 2017, Lǒ Siē Afrīka est un livre de 131 pages écrite entièrement en langue Fe’efe’e, puis traduite en langue française par son auteur Emo Achille, puis connu sous le nom de Makalakwen. Mais avant d’entrer dans les méandres de son contenue, parlons de son auteur.
Originaire de la Région de l’Ouest Cameroun plus particulièrement du Département du Haut-Nkam, Achille Emo est Animateur radio et télévision en langue fe’efe’e depuis une vingtaine d’année, encadreur et enseignant de langue fe’efe’e au Cameroun. Très attaché à la culture du continent noir en général et Bamiléké en particulier, il a été plusieurs fois sollicité par le Ministère des Arts et de la Culture du Cameroun en tant que consultant en matière de langue et culture fe’efe’e dont il est l’un des pionniers au Cameroun. Son livre Lǒ Siē Afrīka, plonge le lecteur au centre de la culture Bamiléké en général et Bafang en particulier d’avant les indépendances, avec l’histoire tragique d’un jeune adolescent qui une fois orphelin, subit les affres de sa marâtre, la seconde épouse de son père et coépouse de sa feu mère. La triste histoire qui a un dénouement tant bien que mal heureux pour l’orphelin, met sur la table de la réflexion les thèmes aussi importants tels que l’amour, le courage et la persévérance toutefois, nous aborderons cette œuvre sous les trois aspects qui ont retenu notre attention : la langue, la culture, et l’éducation.
- La langue
Dans son article « Le français, langue de culture » publié dans le N° 311 de la revue Esprit du 11 Novembre 1962, le sénégalais Léopold Sédar Senghor alors agrégé de grammaire française vantait les prouesses de cette langue coloniale imposée aux Africains en arguant qu’elle était la panacée à l’ouverture de l’Afrique sur le monde de la science. Parallèlement, il appelait de tous ses vœux à la décrépitude des langues africaines. Selon lui, les langues Bantou ne servaient pas à grand-chose si ce n’étaient communiquer entre les tribus et à cet effet, ne pouvaient pas s’imposer sur le plan mondial. Elles ne donnaient pas accès à la science et pourtant, les langues évoluent et s’adaptent aux contraintes du temps.
Si les langues africaines ne se sont pas (encore) imposées sur la scène internationale, c’est parce qu’il manque une véritable politique de promotion de ces dernières.
Lǒ Siē Afrīka fait donc partir de ces livres qui contribuent à démonter la thèse de Senghor selon laquelle, les langues africaines ne pouvaient pas servir à la transmission du savoir. Écrit de fond en comble en langue fe’efe’e sans emprunt lexicale, ni calque sémantique ou alternances codique, il est la preuve que les langues Bantou regorgent d’un riche lexique et d’une grammaire complète, nécessaires à la transmission du savoir tant oral qu’écrit. L’auteur en effet, parvient à exprimer à travers les lignes de son ouvrage, non seulement les sentiments les plus profonds de ses personnages, mais aussi les concepts soit concrets qu’abstraits, ce qui démontre une bonne connaissance linguistique et culturelle.
- La culture
La culture est ce qui reste lorsqu’on a tout perdu. Comment se définir dans la langue des autres ? Comment exprimer les réalités endogènes avec les langues exogènes ? Connaitre et appliquer sa culture c’est savoir s’orienter dans ce monde « cultuvore ».
Dans Lǒ Siē Afrīka, on constate comment la connaissance culturelle permet au protagoniste principal Lɑ́’ngʉ̄ɑ̄’, de s’en sortir face aux difficiles situations auxquelles il est sans cesse confronté, que ce soit dans son village que loin de ses aïeuls.
Savoir quand et comment invoquer ses ancêtres, quelle formule prononcée avant de traverser une rivière ou face à un totem menaçant, tout y est. Ces connaissances ancestrales dans l’Afrique d’avant la Colonisation, contribuaient à la croissance spirituelle et à l’éducation de la jeunesse
- L’éducation
Dans Lǒ Siē Afrīka, un point d‘honneur est mis sur l’éducation de la jeunesse, éducation nécessaire pour affronter les péripéties de la vie.
Dans cette œuvre, on constate que l’éducation joue un rôle prépondérant dans la vie du principal protagoniste. L’éducation à l’école traditionnelle par exemple lui permet de cerner les contours de sa vie et de mieux appréhender l’adversité. Grâce à ces connaissances, il parvient à s’extirper de la fureur des reptiles, chasser pour se nourrir, communiquer avec les ancêtres et à vivre loin de sa terre natale.
Quant à l’éducation occidentale, elle lui permet de comprendre le système colonial et de plus tard, combattre les injustices qu’il inflige à son peuple. On comprend par-là qu’aller à l’école du Blanc ne nous confère pas le droit de renier notre culture et notre éducation ancestrale. C’est une aubaine de comprendre la pensée du Blanc afin de mieux se prémunir de toutes les injustices qu’elles peuvent aussi engendrer, tout en y tirant le meilleur pour nous et pour les autres. De simple orphelin martyrisé à secrétaire particulier du Roi, Lɑ́’ngʉ̄ɑ̄’ a traversé de nombreuses étapes pour se retrouver au sommet.
La version française permettant d’accompagner ceux ne lisant pas la langue fe’efe’e, ce roman est conseillé à tous surtout aux amoureux de la langue fe’efe’e, qui en profiteront pour approfondir leurs connaissances linguistiques.
@Vision Channel Africa